Entretien avec Moïra PARAS réalisé par Jérôme LADIRAY, le 27 mai 2004 à Paris.
J.L. : Vous ne peignez de façon intensive que depuis une dizaine d’années.
Quelle a été jusqu'alors l’évolution de votre œuvre, quels ont été les chemins et les détours que vous avez empruntés ?
M.P. : Je peins depuis toujours, mais je n’ai pas toujours peint. J'ai commencé très jeune, la peinture est venue en moi très très jeune et puis ça s'est arrêté net, aussi très jeune, et après je n'ai plus touché un pinceau. C’est réapparu avec une sorte de nécessité intérieure que je ne saurais absolument pas vous expliquer. La peinture n’est pas pour moi une nouvelle « activité », mais la dernière expression d’une chasse fervente, qui a simplement emprunté des pistes différentes. Il y a eu la philosophie et l’enseignement, il y a eu l’écriture et d’autres choses encore, toutes éperonnées par le même souci. C’est comme une navigation. Ce n’est pas une errance mais un voyage difficile, parsemé de guerres.
J.L. : Pendant toute cette période de latence, de silence de votre peinture, quels ont été vos sources
d'inspiration précisément dans le domaine de la peinture ?
M.P. : Je ne peux pas vous dresser le catalogue des œuvres que j’aime, qui m’ont inspirée, il y en a tellement ! Et de si différentes ! Cela va du petit bas-relief sur une tombe oubliée, aux sublimes paysages de Patinir, en passant par Velázquez, Rubens ou les portraits du Fayoum…
J.L. : Etes-vous aidée dans votre recherche par ces supports universels que sont les mythologies, les grands symboles de l'humanité ?
M.P. : J'y ai eu recours bien entendu, c'est-à-dire que j'ai cherché dans toutes les directions, j'ai étudié toutes les religions, les philosophies… enfin toutes !... dans la mesure de mes capacités, je ne suis pas Pic de la Mirandole. Et les réponses que j'ai trouvées m’ont souvent éblouie. J’ai été follement séduite, et à chaque fois, je me suis approprié des bribes, mais aucun système ne m’a entièrement convenu. Je pense que ce que je cherche ne se trouve pas, que c'est de l'ordre du mystère et ce mystère-là, je lui rends une forme de culte, sans que cela prenne un sens trop religieux, mais je lui rends une forme de culte en travaillant. J'écoute ce qui vient, et ce qui vient me surprend moi-même, je ne comprends pas toujours ce que je peins. On retrouve les traces de nombreux univers dans ma peinture. Mais ces univers ne me sont pas toujours familiers, et parfois même, ils me sont étrangers. Par exemple, j'ai en ce moment des écritures qui sourdent, il y a des caractères qui recouvrent une partie du tableau et les gens qui viennent me disent : "Tiens, il y a des lettres qui ressemblent à telle ou telle langue". Mais moi, je ne connais pas ces langues, et évidemment je ne les écris pas. Alors, je ne sais pas d’où viennent ces écritures.
J.L. : Votre goût pour le mystère et la mystique en général, vous orientent-ils dans le choix des
matériaux que vous utilisez ? Je pense notamment à des morceaux de portes qui proviennent d'églises
ou de lieux de patrimoine, donc ancrés dans une histoire et ancrés aussi dans une mythologie ?
Est-ce que ce choix-là découle déjà de votre goût pour le mystère ?
M.P. : Probablement. Je n'en ferais pas une théorie, mais probablement. Probablement parce que j'aime les choses qui ont en elles des essences qui ne m'appartiennent pas. Je pense que j'aime cette idée de cohabitation. Et puis la patine, l’écriture du temps me plaît. J'aime la vieillesse, en fait.
J.L. : Il semble que votre peinture creuse, plutôt qu’elle ne couvre le support. C'est comme si
vous cherchiez à retrouver une histoire, elle-même intégrée au temps qui est passé à travers le bois ou à travers le marbre de vos supports.
M.P. : L'idée de creuser est très intéressante parce qu'effectivement, il y a dans mes tableaux, des tableaux sous les tableaux, des sortes de repentirs qu’on devine et aussi des morceaux… enfin des… je ne trouve plus le mot tout à coup, je ne sais plus comment appeler ce que je fais. Des espaces découpés qui sont comme dans un autre champ, c'est-à-dire que j'ai des champs différents dans le tableau…
J.L. : Des profondeurs de champ ?
M.P. : Profondeurs de champ, si vous voulez. Et même, des tableaux dans les tableaux mais qui n'ont peut-être rien à voir avec le tableau lui-même, et qui se sont surajoutés comme si la profondeur noire du temps les avait crachés là…
J.L : Il y a une lutte qui est très apparente et très visible dans beaucoup de vos œuvres, une tension en tout cas...
M.P. : Sans doute. Mes tableaux évoquent le passage, d’un état à l’autre, d’un monde à l’autre. Ce passage est au mieux une tension, au pire une guerre. Mais la représentation de la violence comme pur constat ou comme fin en soi ne m’intéresse pas. Si ma peinture est parfois violente ce n’est pas la violence, c’est une étape de la paix qui est montrée. Je voudrais que le spectateur ressente ça avec la même conviction que moi.
J.L. : Vous décrivez souvent des situations qui ont à voir avec le récit...
M.P. : Oui, c'est vrai. Les personnages combattent, font route ou attendent. Mais ils n’attendent pas comme ça, dans une sorte d’attente courtoise, que les choses se passent. Ils ont pris une décision, personne ne sait laquelle, pas même moi. C’est donc un récit incomplet. Je voudrais qu'on imagine ce qui s'est passé avant et ce qui se passera après : qu’on entre dans cette situation et qu’on en fasse une aventure, voire son aventure.
J.L. : Vous cherchez à capturer d'une certaine façon, ou à sculpter la lumière à travers l'utilisation
d'un matériau peu utilisé aujourd'hui : celui de la poudre d'or. Il s’agit du matériau même de la lumière
que vous utilisez avec science dans vos œuvres pour, là encore, sculpter le regard et l'attirer vers la
lumière que l’on ne peut voir qu’en opposition avec le néant et l'obscurité.
M.P. : Oui, l'or est employé très symboliquement, soit dans les écritures, soit dans ces espèces de colonnes que je fais très souvent, une colonne de lumière qui descend…
J.L. : Un rayon ?
M.P. : Un rayon oui, un halo, qui distingue un champ. En fait, je découpe un temple, au sens étymologique, c'est-à-dire l'espace sacré du tableau. Tout autour il y a l’espace du monde, et au milieu il y a l'espace sacré, celui qui protège et où l’on peut se reposer de l’effroi. Celui qui octroie la consolation et la force.